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Léa Polisini - MAI 68
Léa est une jeune artiste valenciennoise dont le travail engagé collait bien avec le panier « Mai 68 », nous l’avons rencontrée pour en savoir plus sur l’auteure de l’illustration du panier « Sors de la meute, et mords le maître ».
Léa, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis étudiante en licence III d’Arts Plastiques. Je peins et je dessine depuis toute petite, et je suis passionnée par l’art engagé, et par l’impact qu’il peut avoir dans la société.
Quelle est ta pratique artistique actuelle ?
Disons que j’expérimente encore. Mes études m’encouragent à ne pas m’enfermer dans une seule pratique. Mais j’avoue que j’aime particulièrement créer des affiches politiques. J’aime le rapport étroit qu’elles entretiennent avec l’art, tout en questionnant le.a spectateur.trice sur la société dans laquelle il.elle évolue.
Pour le visuel du panier mai 68, tu as proposé à Kilti une illustration d’affiche « Sors de la meute et mords le maître », peux tu nous parler de ton travail sur ces affiches justement?
L’idée, c’était de m’inspirer des visuels de mai 68 pour recréer des affiches en accord avec notre société actuelle. Les affiches de mai 68 me plaisaient dans leur côté brut et spontané. Leur but était de dénoncer de façon claire et lisible. Et pourtant aujourd’hui elles portent un intérêt artistique indéniable. « Sors de la meute et mords le maître » fait directement écho aux violences policières, omniprésentes aujourd’hui (comme hier, d’ailleurs). J’ai voulu tourner ça de façon un peu humoristique en mettant en scène un chien de policier.ère qui se retournerait contre ce.tte dernier.ère . Après, la notion de » maître » peut être interprétée dans un sens plus large.
Pour les 50 ans de Mai 68 on voit pas mal d’affiches et de visuels de toute sorte, beaucoup de graphisme, tu utilises des méthodes « à l’ancienne » à l’heure du hashtag et du tweet. Quelle est ta démarche artistique là-dessus, quel est ton procédé de création ?
Je fais tout à la main. Du lettrage au dessin, et je colore les affiches à l’encre acrylique et à l’encre de Chine. Dans un premier temps, c’est vrai que ça donne un côté plus authentique, plus spontané. Mais de l’autre, c’est très long (environ 8h pour une affiche). Qui plus est, si on se rate, c’est terminé, il faut tout recommencer. Mais je m’y retrouve beaucoup plus que dans le travail de graphiste. Le contact direct avec le papier et l’encre me correspond davantage que le support ordinateur, il y a cette matérialité que je n’arrive pas à retrouver à travers un écran. Pour ce qui est du procédé, je m’inspire de l’actualité et en général je travaille par séries de 6 ou 9 affiches. Par la suite, j’aimerais faire évoluer mon travail en collaboration avec un.e sérigraphe.
Qu’est-ce que tu peux nous dire de l’art engagé en 2018?
Je pense que c’est une forme d’art indispensable. Ce qui est formidable pour moi, c’est que » l’art engagé » peut toucher tous les milieux, tous les styles. Il ne se limite pas aux arts plastiques. Je pense que questionner la société et en dénoncer les travers, c’est un enjeu capital depuis toujours. Quand on sait que les premiers graffitis politiques sur les murs remontent au 1er siècle après J.-C., je me dis que l’art engagé est inhérent à la société dans laquelle il évolue, et l’inverse serait révélateur d’une population muette.
Et qu’est-ce que ça donne d’être une femme, artiste engagée, dans une fac d’art, en France, en 2018?
J’évolue dans un milieu ou le sexisme est souvent fortement critiqué, grâce au fait qu’il y ait une majorité de femmes. Mais cette majorité de femmes est également significative dans un sens, de l’idée que la conscience commune se fait de l’art. Ce qui prouve que l’abolition du patriarcat est évidemment un enjeu majeur aujourd’hui, car il est toujours bien présent même dans les facultés (nous en avons un très bel exemple avec « Paye ton bahut »).
Mon engagement artistique vient dans un premier temps d’un engagement politique personnel. Mais lorsque l’on s’attarde sur les tags sur les murs, et par exemple dans les facs occupées aujourd’hui et mobilisées contre la loi ORE, on peut voir que l’art s’étend à un spectre plus large qu’une simple « création d’artiste ». Il est partout, et va du simple slogan aux dessins sur les tables. Pour ce qui est d’être engagé.e à la fac aujourd’hui, artistes ou pas, les récents événements ont prouvé que quand on est militant.e, ou simplement en désaccord avec le gouvernement mis en place, on s’expose à ses outils de répression : violences policières, fichage, attaques fascistes, etc.
Même si on peut citer pleins d’autres exemples, je prends celui des facultés: des lycéen.nes et des étudiant.e.s se mobilisent contre le gouvernement, contre son projet d’instaurer l’élitisme et les inégalités à la fac, et ce dernier répond de manière immédiate: il violente et opprime.
Justement, tu peux nous parler de la production artistique au sein de la fac : est-ce que les élèves ont vraiment une liberté de faire de l’art engagé?
A la fac, on est quand même limité.e, car on doit répondre à un sujet général. On est limité.e également par les moyens mis en place. En tant qu’étudiant.e.s, on ne peut pas dépenser à outrance dans les projets, et il faut bien avouer que la fac n’a pas de moyens énormes pour nous permettre de mettre en place tout ce qu’on voudrait faire. Personnellement, on ne m’a jamais empêché de parler de politique dans mes projets, mais c’est vrai qu’en tant qu’institution, la fac ne nous laisse jamais libre à 100 % dans nos projets. Par exemple, l’étudiant.e ne pourra pas mettre en danger son intégrité physique. On doit quand même s’autocensurer, car on reste dans un cadre scolaire, institutionnel.
Quels sont tes projets pour l’avenir ?
- Continuer à expérimenter, trouver la technique qui me correspond le mieux, tout en restant en accord avec ma façon de penser, et de militer à travers l’art !
Interview réalisée par Clara MAFRICI et corrigée par Chantal BREBION