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LadyBoy Project
Quelle belle rencontre à la Slow Galerie ! Nous avons interrogé Olivier Hazemann (LADYBOY PROJECT) et Jean-Charles Dufeu (MICROCULTURES), l’artiste présenté dans le dernier panier Kilti Paris et son producteur.
Kilti – Bonjour Olivier,
Alors comment doit-on t’appeler ? Plutôt Olivier ou bien LadyBoy ?
LadyBoy – Et bien ça dépend de l’heure, de la journée… du moment ! J’ai envie de te dire qu’aujourd’hui ça sera une partie LadyBoy, une partie Olivier.
K- En trois mots, qu’est-ce que LadyBoy Project ?
L – Intempérie de l’âme.
À l’origine de LadyBoy, il y a une rencontre que j’ai faite au Japon avec une demoiselle et en ont découlées des ambiguïtés qui m’ont donné envie d’être, à travers mon identité, l’acceptation de ma personne, de mon corps et aussi une envie très marquée d’être, de devenir ELLE, cette femme, ce corps…
K- C’est une vraie demoiselle ? Ou une demoiselle fantasmée ?
L – Je pense que c’est plus de l’ordre du fantasme, de l’adoration. On nait tous avec un corps et avec une sexualité déjà marquée et c’est peut-être réducteur. C’est ce qui peut créer notamment des inégalités, par exemple pour les femmes…
K – Est ce que c’est via la musique que tu t’es transformé en LadyBoy ? Ou est-ce une rencontre personnelle qui t’a poussé à te dire qu’il fallait que tu fasses quelque chose avec cette transformation ?
L – Je pense que c’est quelque chose qui part d’une vraie démarche personnelle.
Là c’est Olivier qui parle : c’est toujours amusant et stimulant de créer des univers, notamment assez filmographiques. Mais c’est aussi très personnel et tout ça vient d’une vérité. Tout au long d’une vie, on peut se sentir d’une certaine manière, et un moment donné, une rencontre met en lumière une part d’ombre.
C’est toujours pareil, c’est essayer de trouver un cocon personnel, un truc intérieur.
K – Quand a eu lieu cette rencontre ?
L – Une première fois il y a 18 ans et une deuxième fois il y a 4 ans.
Les hommes sont souvent assez nombrilistes et égocentriques ou macho, et souvent c’est ce qui crée une situation assez malsaine dans une histoire d’amour.
Si je fais des grands traits c’est aussi parce que la société appuis ce genre de position en esquissant une figure de l’homme assez grossière, en légitimant peu la position de la femme.
La femme est une guerrière. Je vois beaucoup de femmes comme des déesses, en tant que force intérieure. Une sorte de vérité inhérente.
Des fois, il est difficile pour les hommes de soutenir nos particules bien trop lourdes quand tout se centre là-dedans. Mais une fois que l’on a évincé ça, lorsqu’on fait place à l’intellect et à la sensualité, il y a quelque chose de plus sensoriel qui se met en place. Et c’est quelque chose d’hyper intéressant.
Ce qui m’interpelle c’est la musique, parce que chacun, même les gens bien-pensant ou ceux qui ont déjà vécus tout cela, sont toujours obligés de cataloguer, de parler de genre ou de transgenre. Je ne suis pas transgenre. J’explore le caractère identitaire de la chose et je vis l’histoire d’amour qui en découle.
Quand on nous demande si on est en couple c’est déjà un territoire qui ne regarde personne. Derrière cette question il n’y a qu’un seul but, savoir quelle est ta sexualité. Les gens ont besoin d’être rassuré, surtout les hommes. C’est un sujet difficile, même pour les plus cultivés d’entre nous.
C’est un sujet qui me tient à cœur. L’identité des corps. Je n’ai pas très envie d’en parler car cela fait fleur bleue, mais la femme m’a permis de me sublimer, de prendre confiance en moi et de trouver un peu plus d’amour profondément.
K – Est ce que tu redeviens un Kalash de temps en temps ou LadyBoy t’a complétement habité ?
L – C’est ça qui est intéressant. Pour resituer avant j’avais un groupe hip-hop qui s’appelait Kalash.
Comme tout mouvement musical, quand on est au bon moment c’est génial.
Les années 90-95, c’était un des meilleurs moments du mouvement hip-hop avec tout ce que ça représentait de biens intellectuels et de musiques hyper fortes.
J’ai eu la chance de pouvoir naviguer là-dedans et surtout d’y trouver ma voie. C’est comme ça que j’ai appris à faire des choses sur scène, à apprendre à travailler mon équipe…
Après c’est vrai qu’avant j’étais cette personne et maintenant je suis clairement une autre. Et peut-être que cette personne à l’époque était enfouie sous un amas, sous une sensibilité trop exacerbée, qu’on arrive pas à assumer, du coup on se cache derrière des trucs et on essaye de vivre normalement.
Ce qui est en représentation est beaucoup plus virulent. Alors que le groupe était pas du tout violent, mais moi je l’étais, parce que j’en avais besoin.
Ce personnage fait partie de mon être, mais profondément ce n’est pas moi.
Le Kalash est là parce que ça fait partie de ma vie, donc je ne le renie pas du tout, mais très sincèrement, l’état et la sensibilité dans lesquels j’étais à l’époque, ne sont pas du tout les mêmes aujourd’hui.
K – Quand est-ce que tu as commencé LadyBoy Project?
L – Artistiquement ça a été très rapide, il y a un an j’ai enregistré en studio et ce qui a mis le plus de temps c’était de trouver de quoi le sortir et de mettre en place une équipe de travail.
Je suis allé voir les gens avec mes maquettes, notamment deux personnes qui sont hyper importantes. Sébastien Martel, un guitariste et compositeur avec qui j’avais déjà eu une histoire avec les Kalash avec lequel on travaillait à distance. Je lui ai envoyé le projet en lui disant que j’aimerais bien travailler avec lui. Il y a aussi Sébastien Souchois, qui a été une relation essentielle dans mes doutes, dans le processus de création.
Voilà, ce disque existe parce qu’il y a beaucoup de gens autour aussi, c’est comme un collectif.
K – On entend souvent que ton univers est onirique avec des inspirations japonisantes, très mélangées au style des années 50. Comment tu définirais ton univers musical ?
L – Tu prends quelques paysages, quelques forêts un peu brulées, quelques passages où il y a de grandes éclaircies avec des fleurs, très marqués qui scintillent et à côté de ça quelques pardons, entre cauchemars et rêve. Tu prends ensuite une grande pincée d’amour, à qui ça parle beaucoup et de sensualité et tu mélanges ça avec, toute proportion gardée, avec l’envie de faire de la poésie et on essaye de s’approcher de ce qu’on essaye de faire avec LadyBoy.
Donc oui, c’est quelque chose d’assez onirique, en tout cas cet album-là, son histoire c’est de faire voyager, c’est assez filmographique. De doux sons soyeux et en même temps des fois assez grinçants.
Cet album est beaucoup porté par la mélancolie. Pour moi c’est un sentiment qui n’est pas la tristesse, parce que si ce mot existe c’est qu’il y a bien une raison. Voilà pour moi la mélancolie peut ramener beaucoup de douceur et de tendresse.
Ensuite, les années 50, j’adore le style vestimentaire. Je trouve qu’il y a une classe chez les hommes et les femmes très naturelle. La manière de se porter et de se conduire et de s’habiller…
K – Le personnage qui t’a inspiré est une femme japonaise. Est-ce un voyage au Japon qui t’a poussé à travailler sur cette esthétique ?
L – Non, c’est ça qui est incroyable. C’est du fantasme pur et dur, je n’y suis jamais allé. Par contre, je m’y connais un peu car la personne qui m’a inspiré m’a fait découvrir tout ça.
Pour revenir aux années 50, ça m’a clairement inspiré musicalement. Quand j’envoie des mélodies, j’accompagne toujours ça de photos ou même de d’autres morceaux de d’autres artistes qui sont très marqués années 50. C’était une vraie volonté.
K- Du coup, qu’est-ce qui influence ta musique ? Quels artistes, groupes, poètes.. ?
L – Déjà il y a vraiment les haikus japonais qui m’ont porté, au niveau de l’écriture. Y’a aussi Paul Eluard. Ce qui m’a intéressé chez lui c’est cette quête permanente et le fait de parler tout le temps de son histoire d’amour dans toutes ses œuvres.
Ce truc avec Gala est devenu une sorte d’obsession en fait. Et cette mélancolie aussi qui le guette, l’assomme, le porte en même temps, c’est ça qui est intéressant. Puis après les grands classiques : Rimbaut, Prévert…Ça c’est dans l’écriture.
Après dans les atmosphères, y’a celles un peu troublantes comme David Lynch. Justement, quand je parlais tout à l’heure de paysages un peu obscurs avec des chartres très graphiques, je pensais à lui. Il y a eu un peu de mélange de PJ Harvey sur des passages. Portishead, aussi. Puis beaucoup de musiques des années 50.
Il y a eu aussi très clairement Chloé Poizat*, car son univers a matché super bien avec ce que je voulais faire.
*Chloé Poizat a créée et illustré la pochette d’album de Ladyboy Project.
K – Il y avait donc une sorte d’attirance entre Chloé Poizat et toi avant de faire ton album ? Est ce côté animal et ce mélange des genres qu’il y a dans ses dessins qui t’a attiré ?
L – Exactement ! Je pense là au deuxième album sur lequel on est en train de travailler, qui s’appelle « Fantomatique ». Quand je travaille j’ai souvent plusieurs dessins affichés sur des écrans devant moi, j’aime bien travailler comme ça. Je prends des choses qui m’influencent, des images, des objets, que je vais poser dans un coin. Tu vois je vais installer sur une parcelle de table, une poupée, une bague, un sac, une couleur, un motif… et tout ça va amener quelque chose. Le travail de Chloé me fait cet effet.
K – Ce deuxième album va être plus sombre si je me référencie à l’atmosphère un peu fantomatique dont tu parles. Est ce qu’il va être une sorte exploration des tréfonds de l’âme ?
L – Je pense que la mélancolie sera toujours là, c’est ce que j’aime beaucoup, même dans la musique en général, comme dans Tchaïkovski. Les compositeurs russes par exemple m’accompagnent beaucoup. Par contre, je suis parti sur d’autres choses, avec des conations filmographiques par exemple… C’est encore un peu tôt je pense pour en parler.. Mais ça sera peut-être un peu plus rythmé.
K – Puisque tu parles de cinéma et de David Lynch, ma question est la suivante : est-ce que c’est vrai qu’il t’aurait vu jouer au Silencio et qu’il t’aurait proposé de composer la BO de son prochain film ?
L – Non, pas la BO, il est trop entouré. On ne se rend pas compte mais avant d’arriver à ce stade, il y a beaucoup d’interlocuteurs. Mais sinon, oui il a été attentif à ce que j’ai fait.
K – Microcultures est le label de l’album Ladyboy. Jean-Charles, qu’est-ce qui caractérise Microcultures, quelle est la démarche, et comment ce projet est né ?
Jean-Charles Dufeu – Microcultures est un portail de production, qui fait la part belle à l’indépendance artistique et à une certaine idée de l’artisanat. Notre objectif est de donner les moyens aux artistes de réaliser leurs ambitions de façon concrète et professionnelle, sans empiéter sur la propriété de leurs œuvres. Chez nous, ça passe d’abord par un mode de financement alternatif (d’aucuns appellent ça le crowdfunding), qui devient une porte d’entrée vers tout un tas de services de production, que nous mettons à la disposition des artistes accompagnés.
A l’origine de cette idée, il y avait d’abord un label de musique, créé dans une pure démarche de passionné. L’idée première était de donner une existence à des disques qui n’auraient jamais vu le jour sans un financement privé.
K – Comment s’est passé la rencontre entre LadyBoy project et Microcultures ?
L – Jean-Charles est venu me voir en concert, je lui avais envoyé une première fois le projet sous la forme de ce petit objet avec la carte usb. Maintenant, on travaille vraiment main dans la main. C’est un vrai partenaire, c’est même plus qu’un partenaire. Il fait partie intégrante du projet, en apportant une vraie entraide mutuelle sur la répartition des rôles. C’est une vraie rencontre humaine et professionnelle donc ça c’est super !
K – Dernièrement tu as eu une date à FGO Barbara. Ce lieu est un partenaire de Kilti depuis les premiers pas de l’asso. Comment s’est passée ta rencontre avec eux ?
O – C’est une longue histoire avec le FGO, déjà à l’époque de Kalash, on a joué deux trois fois là-bas. C’est une équipe que j’adore vraiment.
Ils font vivre le quartier, qui est celui de Barbès. Ils prennent des risques au niveau de la programmation. Ils font bien leur métier avec un vrai regard artistique sur les choses. C’est ça qui est intéressant : la culture aujourd’hui c’est assez compliqué et c’est déplaisant que ça soit comme ça, mais dans ce marasme ambiant il y a quand même des gens qui arrivent à être attractifs, à avoir des idées.
Kilti en est la preuve et c’est ce qui faut continuer à faire : créer des passerelles entre chaque artiste, entre chaque structure, se renvoyer des idées, des plans etc… Et FGO ont cette mentalité. Ils sont assez ouverts, ils ont des contraintes administratives et techniques mais ils arrivent à aller sur des terrains un peu plus osés.
K – En trois mots qu’est-ce que t’inspire Kilti ?
L – Il y a trop de chose à dire, j’ai envie de dire : Souci de bien faire, d’être différent avec l’envie d’apporter une perception différente de partage et d’appropriation de l’art. De faire des rencontres…
Donc partage, rencontre et émancipation ahah !
K – Et de ton côté, Jean-Charles ? Pourquoi Microcultures a participé au panier culturel Kilti en créant le lien avec LadyBoy ? Est-ce que ça a été une bonne expérience ?
Jean-Charles Dufeu – L’idée des paniers culturels nous plaît bien et est assez proche de notre philosophie. J’aime l’idée de fidéliser un public d’amateurs (au sens étymologique du terme) autour d’une garantie de qualité et de rareté, le tout dans une démarche de vraie sélection. Un peu ce que vous attendez de votre restaurant préféré quand vous commandez le plat du jour. Pas besoin de vérifier la carte pour savoir que ce sera fait avec des produits de saison et que ce sera préparé avec soin. Et qu’il y a donc toutes les chances pour que ça vous plaise.
Je pense que les gens ont aussi besoin de cette prescription dans le domaine de la culture. L’offre est pléthorique, les moyens d’y accéder sont décuplés, mais sans une vraie porte d’entrée on peut avoir tendance à rester dans une approche consommatrice de la culture. Il me semble que les initiatives de Kilti replacent les amateurs de culture dans une démarche active, curieuse et volontaire, où on prend le temps d’apprécier la chose artistique. C’est une approche plus exigeante, un rapport plus personnel à la création, qui correspond à ce qu’on veut défendre chez Microcultures.
Le partenariat avec Kilti s’est très bien déroulé dans une attitude que j’ai senti attentive et soucieuse de comprendre la spécificité de notre démarche. Pour nous, c’est une très bonne expérience, tout à fait en phase avec le genre de passerelles qu’on veut établir avec nos partenaires.